Millau en ce mois d’octobre 2014
Jasmin et Les Templiers
Viaduc de Millau |
A moins d’être journaliste, la plupart du temps ce sont
les concurrents d’une épreuve sportive qui font le résumé de leur course.
Par l’écrit, ils expriment ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils
ont ressentis; à l’image des excellents récits de Virginie GOVIGNON et de Aliza
LAPIERRE concernant le trail des templiers. Acceptez pour cette fois que ce
soit un spectateur, emprunt de
l’ambiance toute particulière d’un des plus beaux trails de France qui le fasse.
Team Europe à la conférence de presse |
Il y a des réunions sportives qui sortent de la norme. Il
existe dans le beau département de l’Aveyron une épreuve qui procure à la fois
la satisfaction de l’accomplissement d’un effort physique singulier et le
bonheur des rencontres. Vous savez, celles qui remplacent les livres. C’est le
trail des Templiers. Il rassemble une grande partie des adeptes du genre et ce
dans tous les sens. Le trail, cette nouvelle épreuve qui fait évoluer notre
regard sur le monde de la course à pied. Son sens et son statut diffèrent par
rapport aux autres courses. Nous sortons ici des sentiers battus de la
compétition. Le premier adversaire ? C’est soi-même.
Conférence de presse |
J’ai suivi une athlète qui représente bien cette idée de
défi physique dans lequel se sont engouffrés tous les concurrents présents au
Festival des Templiers.
C’est Jasmin Nunige.
Elle nous vient de
Suisse, de ce coin splendide qu’est le canton des Grisons. Elle a participé à
l’épreuve du « Grand Trail des Templiers » long de plus de 73 kilomètres
avec 3600 mètres de dénivelé. Elle a des références dans le milieu de la course
à pied cette grande dame. Parce que ç’en est une. Cinq fois première au
Swiss-Alpine, 2h39’00 au marathon de Berlin en 2013 pour ne citer que ces
résultats. Elle faisait partie du team Europe engagé dans cette course face aux
teams France et USA… et à tous les autres concurrents venus de loin.
Millau "Capitale Mondiale du Trail" |
Vu ses références, au printemps dernier elle avait été
sélectionnée dans l’équipe suisse pour le championnat d’Europe de marathon
couru le 16 août dernier à Zurich. Puis
l’organisation du « Festival des Templiers » lui proposa une place dans le team Europe pour
faire face au team France et au team USA qui devait se dérouler le 26 octobre.
L’organisation de cette belle épreuve avait invité du beau monde. Alors Jasmin
s’entraînait « dur » comme à son habitude et comme savent le faire
tous les athlètes de haut niveau. Mais en juin, des sensations très
désagréables et inhabituelles se faisaient ressentir. Des sensations qui ne
correspondaient pas à une fatigue musculaire classique et logique issue d’un
entrainement intensif et poussé.
Elle alla consulter. Début juillet, le verdict tomba. Elle
faisait une poussée de sclérose en plaques.
Son entrainement s’en trouvait ainsi fortement perturbé et
impossible à poursuivre pour bien figurer au marathon. Ses muscles
n’acceptaient plus les allures de vitesse. Aussi, le projet de compétition fixé
au 16 août tombait à l’eau, et l’invitation au trail des Templiers devenait incertaine.
La priorité était fixée sur la santé.
Le Team Europe étudie le parcours |
Septembre fut propice à
une reprise en douceur pour questionner son corps. Début octobre elle déclara :
« mes jambes reviennent !» Je vous laisse imaginer les effets de
cette bonne nouvelle dans son esprit.
Au fur et à mesure que
les semaines passaient sa forme revenait ‘’vers la normale’’. Le déplacement
sur Millau se précisait et la décision fut prise au dernier moment pour honorer
l’invitation. Elle n’était pas sans risque. Même si les conseils d’entrainement
préconisent des sorties longues voir très longues pour ce type d’épreuve, on ne
s’entraine pas sur des distances de plus de 73 kilomètres avec un tel dénivelé
pour voir « si cela va le faire ». Il y avait de l’inconnu dans cette
décision. Physiquement le trail long fait appel à des qualités physiques que
l’on ne retrouve pas dans tous les sports.
tout est prêt à quelques heures du départ |
C’est ainsi que Jasmine découvrait alors cette partie de France
à travers Millau. Le site l’interpella par sa beauté. Venant du canton des
Grisons ce n’est pas peu dire…
Elle découvrait aussi la
différence de perception sur la notion de ponctualité qui existe entre la
France et la Suisse. Ces deux nations ne possèdent visiblement pas la même
horlogerie. On avait oublié d’avertir Jasmin que le « peut-être » et
le décalage (des) horaire (s) prévus faisaient partie des surprises de
l’organisation et que cela faisait aussi partie du charme de cette manifestation.
Phase humour.
Derniers préparatifs |
Elle souligna également cet
accueil chaleureux, sans faille, de l’organisation
et des bénévoles, reconnu par tous les teams invités et devina l’énorme travail
effectué pour ce festival. Cela mis à l’ajout du cadre, des contacts retrouvés,
des rencontres avec les autres athlètes sur lesquels elle pouvait mettre un
visage sur leur nom et de la météo exceptionnelle, faisait pressentir une
journée à souvenirs. L’indicateur d’ambiance était calé. Le but des grands
projets n’est-il pas de se fabriquer des souvenirs ?
un moment magique le départ |
Et nous voici projetés en
ce dimanche 26 octobre. Maintenant l’histoire se construit. Nous sommes dans
les moments qui précèdent les grandes épreuves, dans un enthousiasme
communicatif. Jasmin, qui a grande habitude, procède aux derniers contrôles et réglages
de son équipement. Elle salue par quelques gestes discrets les autres athlètes.
Les mots « chance » et « courage » se font entendre non
seulement dans la langue de Molière mais aussi dans celle de Shakespeare. Les
présentations des teams invités s’effectuent. Tout le monde se place derrière
la ligne. La sérénité apparente cache une certaine nervosité. C’est la
perspective de la journée qui le veut. Les 2900 traileurs forment un bloc
compact. Ils sont prisonniers de leur décision et de leur bonheur. Les contacts
sont serrés. Il est « presque » 5H15. Millau s’éveille et nous
n’avons pas sommeil. Il fait encore nuit. Mais le jour se rêve. Gilles
Bertrand, l’organisateur, leur adresse quelques mots qui fait fondre. Les
frontales s’allument. Ils sont là tels des mineurs nos traileurs. Nous sommes
dans l’instant d’avant. C’est énorme. Ils sont sur le point de monter sur Les
Causses. On leur avait dit : si tu vas à Millau n’oublie pas de grimper là
–haut. Nous n’apercevons plus Jasmin. Un fond musical qui colle bien à
l’évènement est enclenché sur un air d’ERA (Ameno). Jasmin et les 2899 autres
participants sont sous les feux de la rampe, éclairés par des torches rouges. Le
compte à rebours a débuté. Non, nous ne sommes pas à Cap Canavéral mais à
Millau. Zéro est prononcé. Ils vont de l’avant. L’image est belle. Nous sommes
comme dans une nouvelle alphabétisation du bonheur.
1er ravitaillement |
J’accompagne Guy son mari
qui assure son ravitaillement. Nous voici au premier rendez-vous (nocturne) de
cette épreuve, à la croisée d’un chemin qui borde la départementale 110. Les
premiers concurrents passent. Cela va vite. Nous avons l’impression d’assister
à un cross de nuit. Le spectacle des frontales venues de la nuit sans lune est
incroyable. Arrivent les premières féminines. Jamin figure dans les toutes
premières…Mais ce n’est que le début. Nous savons que le prélude au classement
se fera entre La Roque Sainte Marguerite et Massebiau pour se
« caler » puis entre Massebiau et Le Cade, C’est à dire entre les
kilomètres 41 et 62.
Le premier ravitaillement
se fait à Peyreleau (km 21). Les concurrents de tête arrivent déjà au compte
goute. Les premières filles passent. Jasmin a perdu quelques places. Mais rien
n’est dessiné.
Puis rendez-vous est
donné à Saint André de Vézines (km 32). La course s’essaime de plus en plus. Dû
aux différences de niveau et de gestion de course. Le passage de Jasmin est
rapide. Elle n’a pas le temps d’exprimer ce qu’elle ressent que ce soit sur le
plan purement sportif ou sur le plan santé.
Jasmin en 6ème position |
Nous repartons. Quelques
kilomètres plus loin nous la doublons de façon fortuite et furtive sur le bord
d’une route dont la portion figure sur le tracé et a le temps de nous dire
qu‘elle a mal…La nouvelle n’est pas bonne.
Le rendez-vous de
Pierrefiche est manqué. Cela s’ajoute à l’inquiétude. Dans certains moments
difficiles la présence du soutien est importante. Notre présence aurait pu
avoir un écho sur son moral.
Alors nous l’attendons
juste après Massebiau (km 62). Là où il est prévu un ravitaillement en eau.
Nous voyons passer les premiers concurrents sur le début de la côte qui les
amènera au Cade. Nous apercevons d’abord Zach Miller puis moins de trois
minutes après, Benoit Cori suivi de Sylvain Court. Ce classement allait
évoluer. Arrivent alors les autres traileurs de façon diffuse avec en toile de
fond le viaduc de Millau. Cette côte est
très prononcée. Les coureurs ont pratiquement le nez sur le sol. Ils courent
penchés. Aux Templiers, il faut savoir courir un peu pliés. Dans cette ambiance
particulière, il ne faut pas oublier d’évoquer un son. Celui du souffle des
traileurs. Le souffle de la vie. Ceux qui ne parlent pas la langue de Molière
n’ont pas vraiment situé le lieu du ravitaillement en eau au pied de la fameuse
côte et l’angoisse se lit sur leurs visages. Les filles passent. Jasmin se fait
attendre. Ce n’est pas bon signe. Les chiffres du chronomètre défilent.
Massebiau Km 62 |
Elle arrive enfin. Elle sourit
en nous voyant. Elle cherche du confort dans l’inconfort. Cela ne cache pas une
certaine lassitude. Son corps a subi. Elle marche. En compétition ce n’est pas
son habitude. Nous sommes dans le monde du courage toute proportion gardée. Alors
loin de tout le vocabulaire de l’athlétisme (VO2 max, seuil, alternance
d’allure, 30X30) ou autres considérations qui précèdent une compétition. Nous
sommes dans l’humain. Nous sommes dans
le programme du jour : inspirer, expirer, inspirer, expirer. C’est le
trail des Templiers. Et nous sommes respectueux de tous ceux qui nous montrent
cette idée de l’effort.
Bildunterschrift hinzufügen |
Nous partons alors sur
l’aire d’arrivée. Je me place à un kilomètre en amont. Les coureurs passent de
façon esseulée. Les attentes sont toujours longues. Les minutes défilent et les
filles aussi. Dix sont déjà passées. J’aperçois Jasmin. Elle est onzième. Elle
est talonnée par Virginie GOVIGNON mais tiendra sa place. Sa main gauche est en
sang et son épaule droite écorchée. Elle
est tombée. Sur ce genre de parcours long avec un sol exigeant le risque de chute est
important, surtout sur le final parce que la lucidité est mise à l’épreuve.
dans le dernier Km |
Je tente de la suivre
avec tout mon matériel d’ascenseur de souvenirs (matériel photo). Je risque de
tomber en faisant cela. C’est alors qu’elle me dit (après 73 kilomètres de
course) : Tu sais tu n’as pas le droit de me suivre. C’est Jasmin.
Je réussi tout de même à
la « shooter » à l’arrivée, accueilli par le grand Dominique
Chauvelier et à recueillir ses premières impressions à chaud : C’est un
circuit magnifique, mais ce fut l’enfer dans le paradis. Elle ne pouvait pas
mieux résumer ce qu’elle avait enduré. Malgré la fatigue qui se lisait sur son
visage, elle rayonnait. Et cela se diffusait autour. Comme tous ceux qui passaient sous le porche d’arrivée de ce trail. L’idée
d’abandonner avait traversé son esprit. Mais malgré la douleur et les problèmes
liés à sa maladie, elle a tenu à terminer l’épreuve par respect pour ceux qui
l’ont invités, pour tous les bénévoles et pour les autres traileurs qui étaient
en situation de la faire et qui ne l’ont pas fait. Pour elle ce n’était pas
‘’seulement’’ une onzième place, mais surtout une victoire sur les évènements. Elle
sait danser sous la pluie. En cela elle est grande.
Heureuse d'avoir terminé cette belle course |
La victoire aime
l’effort. Cette sensation elle l’a partagée avec les autres athlètes de tout
niveau. Il y avait de l’échange en ces lieux entre les générations de coureurs.
C’était comme un commerce de vie.
Jasmin, Dominique Chauvelier, Vigiginie Govignon, Guy |
Nous sommes dans le monde du sport et ici courir est un language.
On court comme on est. Jasmin sait parler.
C’est Dame courage.
Texte et images (Patrick Badie)
un grand merci à Gilles Bertrand pour avoir organisé ce Trail de toute beauté "Je reviendrais" |
1ère place par équipe pour le Team Europe féminin (Nuria Picas, Holly Rush, Magdalena Laczak) |
Le festival des Templiers ou le bonheur en stock.
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